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Des Données Et des Territoires : la newsletter consacrée à l’impact du numérique et des données sur le développement des territoires – retrouvez l’essentiel de l’actualité à retenir compilée et mise en perspective par nos consultants, chaque semaine, en moins de 10 minutes.

Dans cette interview, Julien Hautemaniere, consultant au sein d’Infhotep et créateur de cette newsletter #DDET interview David Berthiaud

Ingénieur en chef territorial hors classe, David Berthiaud a été directeur des systèmes d’information pendant près de 15 ans. Il assume désormais la fonction de directeur de la transformation numérique de la Ville et de l’Agglomération de La Rochelle dont la stratégie repose sur trois axes de travail : l’innovation durable par l’expérimentation, la gouvernance participative et inclusive, la valorisation des données dans le respect de la vie privée. David Berthiaud est responsable de l’axe data du projet de territoire : « La Rochelle Zéro Carbone » dont l’un des objectifs est de créer un Commun à travers une plateforme open source de pilotage et de partage de données.

Bonjour David, pouvez-vous nous rappeler les objectifs et les moyens du projet La Rochelle Territoire Zero Carbone (LRTZC) ?

Le projet LRTZC vise un objectif très ambitieux : atteindre la neutralité carbone sur le territoire rochelais en 2040, soit 10 ans avant les engagements français. Il s’agit d’un objectif très complexe à réaliser, car il nécessite une approche systémique avec l’ensemble des acteurs du territoire et l’ensemble des thématiques (tourisme, déplacements, captation carbone, bâtiment, etc.).

Ce projet est cofinancé par l’Etat, l’Union Européenne, l’ADEME, financements qui ont permis de recruter et financer plus d’une quinzaine de postes, de se structurer et de disposer de moyens pour initialiser la démarche. Néanmoins, les projets fléchés et co-financés représentent une portion minime de ce qu’il faudra faire pour atteindre cet objectif. Il s’agit ainsi d’un projet d’expérimentation avec des zones et actions ciblés.

Un axe important du projet repose sur l’implication citoyenne. Il s’agit d’un axe support, par lequel on réduit de manière indirecte les émissions, en impliquant la société civile pour faire adhérer les habitants : en travaillant sur des récits, la vulgarisation, etc. L’objectif est de faire prendre conscience avant d’accompagner un changement de comportement.

LRTZC va s’appuyer sur une plateforme de données, Terreze. Pouvez-vous nous préciser les objectifs spécifiques de cette plateforme et comment elle s’intègre dans le projet global ?

Il s’agit de la plateforme numérique qui va permettre de piloter la trajectoire grâce à un monitoring carbone et environnemental du territoire. Il s’agit ainsi de produire une meta plateforme, qui a vocation à se situer au-dessus des systèmes d’information des partenaires, et qui vient collecter les données utiles au projet de territoire sans les répliquer.

En effet, il est très compliqué de piloter une telle trajectoire actuellement. Des bilans carbones sont certes réalisés, mais ils sont macro et reposent sur beaucoup d’incertitudes : l’ambition est d’objectiver la connaissance du territoire, des actions réalisées, et d’impliquer les acteurs. Pour cela, il est nécessaire de créer des jeux de données d’intérêt territorial, de communiquer largement pour informer le grand public et valoriser les actions.

Il s’agit donc d’un outil de pilotage par la donnée d’une politique publique, qui sera mis au service de cas d’usages métier, un par axe du projet, afin d’aider les acteurs du territoire à utiliser le potentiel du numérique et des données pour observer l’évolution du phénomène, grâce à la réconciliation des données éparpillées auprès de plusieurs acteurs.

L’outil dispose de plusieurs briques pour plusieurs niveaux d’utilisation, qu’il s’agisse de collecte des données, de traitement, de stockage, ou de représentation (dataviz). Ce dernier point a été particulièrement travaillé. Des espaces de travail propres à chaque utilisateur peuvent être créés et les ressources produites réutilisés par d’autres, pour d’autres besoins. Pour ce faire, un espace no code permet de créer ses propres restitutions (cartes, graphiques, indicateurs) afin de constituer des tableaux de bord, puis les diffuser en mode public ou pas. L’utilisateur peut utiliser et créer ses restitutions, par exemple à partir des données des pistes cyclables de l’agglomération, créer une carte, un indicateur représentant le nombre de de km de pistes cyclables, un histogramme relatif au nombre de km de pistes par commune, restitutions qui pourront être publiques. Il s’agit donc d’un outil collaboratif pour partager les connaissances.

Par ailleurs, la plateforme hébergera les référentiels de calcul et les modèles de données. Elle est ainsi conçue avec 3 bibliothèques (ou catalogues) : celle sur les données, celle sur les algorithmes de traitement (géographiques, statistique, jointure, géocodage), et les restitutions. Nous pourrions faire une analogie avec une recette de cuisine qui consiste à dire que les ingrédients sont les données, la cuisson les traitements, et le plat final les restitutions.

Quels ont été les choix techniques qui ont prévalu dans le choix de la plateforme ? Quels prestataires avez-vous retenu et pourquoi ?

Un principe fondamental est celui de la licence open source, qui vise à faire de la plateforme un commun numérique, réutilisable et réplicable. En effet, même si le projet vise à construire une plateforme de pilotage d’une politique environnementale, la solution logicielle demeure agnostique, et pourra donc être utilisé pour d’autres domaines. La licence choisie est l’Apache 2.0, ce qui fait que ceux qui veulent contribuer au code source, ou réutiliser des bouts de celui-ci, puissent le faire.

Un autre arbitrage important a été celui de savoir si l’infrastructure devait être de type big data ou pas. La réponse est non, d’une part car il s’agit d’un projet de sobriété, qui doit exploiter des données utiles et utilisables. Mais surtout car il s’agit d’une plateforme de pilotage qui va collecter des données issues de différentes sources, par exemple des plateformes IoT ou d’applications métiers. La collecte ne va se faire que sur les données réellement intéressantes, qui seront transformées en données décisionnelles.

Une particularité du projet porte sur les smart contrat, ou contrats intelligents, pourriez-vous nous décrire ce concept ?

Si le projet débute avec uniquement des données ouvertes, l’ambition est de progressivement réussir à construire une maille beaucoup plus fine grâce à une collecte automatisée des données, ouvertes ou non, à l’ensemble des 130 partenaires et sur tous les secteurs concernés, y compris les acteurs privés.

Les Smart Contracts répondent ainsi à l’enjeu de fluidifier la circulation des données de territoire. Il s’agit de contrats capables de générer automatiquement les demandes de réutilisation aux producteurs de données. Ces contrats ont la même valeur qu’une convention établie lorsqu’on échange une donnée, sauf que ce processus est long et compliqué. Ce travail préfigure ce que l’Europe commence à mettre en place avec le Data Governance Act, au travers de la notion d’altruisme de la donnée et l’encadrement des plateformes d’échange de données.

Des licences de données, open data ou copyright, seront apposées sur les données. En fonction des licences, certaines données pourront, ou pas, sortir de la plateforme. L’enjeu est de garantir que si le producteur de la donnée a interdit la réutilisation en dehors de la plateforme, le réutilisateur ne puisse pas le faire, et que si les données sont téléchargées, il y ait une traçabilité, afin que les producteurs sachent à qui la donnée a été partagée. Un enjeu est de savoir si l’on demande uniquement une adresse mail vérifiée, ou une identité vérifiée, par exemple avec France Connect.

Une gestion centralisée des consentements et des droits RGPD est envisagée pour les données personnelles crowdsourcées qui ne pourront être partagées si elles ne sont pas anonymisées.

Quels cas d’usage avez-vous prévu dans ce projet et comment comptez-vous les mettre en œuvre ?

L’année dernière, le travail a porté sur 2 volets : le pilotage du projet de territoire, via la production d’indicateurs globaux pour piloter la trajectoire, et la production d’indicateurs plus sectoriels sur l’écologie industrielle et les actions des communes. Nous avons également travaillé sur l’efficacité énergétique et l’évaluation carbone des bâtiments publics, en particulier pour outiller les petites communes.

La méthode a été redéfinie afin d’aligner le cas d’usage avec les besoins du terrain et être sûr de la disponibilité des acteurs : ainsi une étude de pré-cadrage nous permet de nommer un responsable de cas d’usage, identifier les utilisateurs clefs et inventorier les données nécessaires. Une matrice a été réalisée pour sécuriser la faisabilité du cas d’usage.

Quelle gouvernance avez-vous mis en place pour embarquer l’ensemble des acteurs dans la même direction ?

S’agissant d’un projet global, la gouvernance comporte une comitologie importante. Un comité de pilotage, représentant les membres fondateurs du consortium (Ville et Agglo de La Rochelle, l’Université, le Grand Port Atlantique, le Parc bas carbone), est chargé du suivi des actions. Il évalue leur pertinence, décide s’il faut les poursuivre, les amplifier ou au contraire les arrêter, selon les cas. Il s’appuie sur :

  • un conseil scientifique, composé de chercheurs et d’experts renommés dans les différents domaines d’action
  • un comité technique, qui accompagne les actions de manière opérationnelle et qui regoupe tous les porteurs d’axe (mobilité, écologie industrielle, gouvernance de la donnée, implication citoyen, énergie, bâtiment, tourisme, agriculture …)
  • et un comité citoyen où l’on trouve les « pionniers du territoire », militants associatifs qui ont acquis une certaine expertise des sujets environnementaux ; mais également des citoyens tirés au sort et des membres du Conseil de développement de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle.

La plateforme Terreze possède elle-même une gouvernance comprenant le consortium d’entreprises qui sont chargées de sa mise en œuvre. C’est l’Agglomération qui porte le projet pour le compte des membres du consortium LRTZC.

Quelles difficultés avez-vous déjà rencontré ?

La première difficulté est bien sûr celle de la disponibilité et de la qualité des données. De grandes ambitions en data science avaient été identifiées initialement, mais la qualité des données (ainsi que les besoins réels) fait que les réalisations sont plus modestes.

Une autre difficulté est que, dans le but de favoriser la réplication du projet, nous avons fait le choix d’avoir 3 marchés : un pour le back office, un pour le front office, et un spécifique sur nos propres cas d’usage qui font uniquement l’objet d’un paramétrage. Cela permet d’avoir une plateforme agnostique et de ne pas intégrer nos cas d’usage dans le cœur de la solution, mais rend plus complexe la coordination, et créée donc certains surcoûts.

Enfin, nous observons que les acteurs sont contraints par le cadre réglementaire, avec des actions que nous souhaiterions effectuer mais qui ne sont pas possibles. Sur la mobilité, le projet Agremob est une initiative pour accompagner les citoyens vers des modes de transports moins carbonés. Nous aurions souhaité que cette empreinte carbone individuelle génère un certificat qui puisse être valorisé, mais cela n’est pas possible avec la réglementation actuelle. Il existe un marché carbone local et international mais qui n’est pas adapté à ce genre d’usage. L’objectif est de faire remonter de tels constats afin que la réglementation évolue.

D’autres territoires ont-ils manifesté l’intérêt de vous rejoindre ?

L’objectif du projet est bien de « sortir des murs », c’est-à-dire répliquer ou mutualiser. L’utilisation de la plateforme sert les objectifs du projet de territoire, mais l’enjeu de demain dépasse ce périmètre et l’objectif est de construire un bien commun pour servir à d’autres besoins. Un travail a été initialisé avec le PNR du Marais Poitevin, dans le cadre d’un dossier européen LIFE, afin qu’ils puissent réutiliser cette plateforme. Un cas d’usage de notre projet LRTZC les intéresse directement : le potentiel de captation carbone des zones humides. Mais l’objectif est bien d’enrichir la plateforme avec d’autres besoin, d’autres acteurs, pour la pérenniser.

Plus que la plateforme, certaines ressources seront réutilisables comme les modèles, car l’enjeu de fond consiste à structurer les données, définir un cadre d’échange. Un travail important est mené sur ce sujet avec Opendatafrance et l’ADEME. Un travail a également été mené avec le CEREMA sur les indicateurs de pilotage, car ces éléments étaient déjà normalisés sur les territoires durables et intelligents.

Julien Hautemaniere

Julien Hautemaniere

Consultant en stratégie numérique