La résilience est la capacité d’un écosystème à encaisser une perturbation puis à recouvrer son état initial de normalité. Pour nous, les humains, qui apprenons de nos expériences, nous pouvons apprivoiser ce pouvoir de résilience sans altérer au final le “faire société” ; voire même améliorer l’état de normalité en le rendant plus réactif à recouvrer son état normal. Mais nous, les humains sommes capables aussi de l’effet inverse, on peut aussi ne pas recouvrer l’état initial parce qu’on aura choisi de l’altérer, inconsciemment ou à dessein pour le meilleur ou …pour le pire. C’est notre coté génial ou apprenti sorcier, c’est selon, notamment avec la technologie, et ce depuis la nuit des temps. De notre besoin de résilience naît l’innovation. Du coup, on rêve, on fantasme la résilience comme clé de survie dans un monde “collapsologisé”. Notre société traverse des crises multiples alors qu’elle baigne plus que jamais dans une soupe technologique. Une soupe technologique qui va augmenter durablement la société d’une capacité réactive. La technologie nous défie car elle nous propulse dans l’ère du ”faire société” paramétrable pour faciliter l’adaptation de nos écosystèmes sociaux à la situation de crise. Or, la maîtrise de la technologie, ses enjeux, ses pharmakons ne sont pas suffisamment partagés, discutés, compris collectivement et individuellement en tant qu’acteur d’une société démocratique (citoyens, élus, travailleurs, fonctionnaires, gouvernants, chefs d’entreprise…).
Illustrations avec la résilience face au Covid-19:
Les cameras thermiques détectent les dépassements de température… C’est super efficace mais hyper intrusif. Accepter de se faire thermo-scanner et pouvoir s’éviter la contrainte du confinement ? Etre surveillé ou rester chez soi ? Quelle liberté priorise t-on selon la situation de crise, ici sanitaire ? La question de la résilience par la technologie devient la question fondamentale du politique, des législateurs et des juristes et donc des citoyens qui font les urnes dans leur ville, leur pays mais aussi dans les organisations via la représentativité salariale (du moins ce qu’il en reste). Un travail de sensibilisation et de créativité des acteurs du droit, des élus, de la société civile devient vital. Ces usages de surveillance de masse par caméra thermique sont à corroborer avec l’initiative de Waze qui décide “unilatéralement” de désactiver temporairement la signalisation de la présence de la police durant cette période de confinement. Un chef d’entreprise décide d’activer ou désactiver un “biduletech”…Un simple paramétrage fonctionnel. C’est selon son bon vouloir subjectif et selon son sentiment de solidarité et de responsabilisation éthique… et l’absence de cadre juridique.
Ce que cela nous dit c’est que la technologie permet une forme de résilience par activation désactivation des dispositifs; que ce pouvoir de paramétrage en fonction de la gravité d’une situation (ici sanitaire) doit peser dans la réflexion politique, juridique et citoyenne en s’assurant des garde-fous par des mécaniques de transparence et de protection de la souveraineté individuelle et sociétale sur les données… Cela nous dit aussi que faire société résiliente ce n’est surtout pas renoncer à la technologie car alors elle nous sera imposée mais de la maîtriser. Faire société résiliente c’est accepter et encadrer cette forme de surveillance de masse paramétrable en fonction des situations …“Gouverner c’est prévoir” ne suffit plus dans le monde chaotique du XXIème siècle qui exige une adaptation permanente de nos écosystèmes sociétaux face aux situations de crise (sanitaire, sociale, écologique, politique, …) . Une perspective qui exige une responsabilité de vigilance démocratique de chacun, qui exige la capacitation de chacune et chacun, d’un collectif, d’une organisation , d’un quartier, d’une ville, d’un Etat à entrer en résilience. Le “nous sommes en guerre” a quelque chose de désuet hérité du siècle passé, mais qui sonne symboliquement en nous comme appel à mobilisation. Cependant il occulte le risque d’oubli de ce qu’était le temps de paix en s’habituant à ces nouveaux paramètres d’exception devenant des paramètres par défaut, des dérives qu’on confondrait avec la normalité d’hier (celle à laquelle on est censé revenir par résilience).
Au fond, la résilience n’est pas le deuil d’un avant pour accepter le nouveau ou l’après. Elle est un mécanisme de défense et d’innovation d’un écosystème qui est en capacité à encaisser une perturbation et de l’absorber pour revenir à son état initial. Et la résilience par la technologie (c’est ce qui me préoccupe ici) est à rapporter aux humains, à leurs écosystèmes, donc à leurs activités et leurs psychologies : ce processus de résilience implique plusieurs étapes pour s’assurer de revenir à l’état initial et c’est là que pointe le risque technologique. Ce risque technologique qui exige une vigilance éthique, une acceptation lucide en tirant les leçons pour se garantir de la sortie de l’état d’urgence en n’adoptant pas pour normalité les mesures extrêmes qu’a nécessité l’état d’urgence …Le risque technologique c’est qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour activer ou maintenir un dispositif de détection de masse qui a la vertu de faire prévention en cas de crise mais qui peut s’il est maintenu après la crise devenir un système de surveillance orwellien et faire accepter aux gens le totalitarisme latent… comme normal.
François Verron
Consultant Senior