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L’IT due diligence est une étape de plus en plus cruciale lors du processus d’achat d’une organisation ou de fusion. Or, face à un monde numérique sans cesse en évolution technique et technologique, la pratique n’a que peu évolué. Nous verrons au fil du raisonnement pourquoi il est nécessaire de modifier sa perception du système d’information, de chapelet de logiciels à circuit de la donnée. Et donc la nécessité lors de l’estimation de la valeur du SI d’investiguer le patrimoine de données et sa chaîne de production.

Avant de regarder l’horizon, revenons sur quelques notions

La donnée est définie par la Commission européenne comme étant « toute représentation numérique d’actes, faits ou informations et toute compilation de ces actes, faits et informations, y compris sous forme d’enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel »
Les données représentent tout fait, toute trace informatique du monde numérique. Leur présence situe des évènements et leur absence crée des inconnues.
La donnée est le produit de notre société, une documentation extrême de notre temps : tout est enregistré, identifié, répertorié – pour tout et tout le monde. On produit plus de données aujourd’hui en une journée que durant toute l’histoire de l’humanité avant les années 1990. Mais concrètement aujourd’hui, la société n’utilise que très peu toutes ces données produites et en élimine l’immense majorité. Il a été évalué que seuls 2% des données produites en 2020 ont été gardées en 2021 (Statista, 2021).

Des données, mais pourquoi faire ?

L’extrême documentation qu’est la donnée informatique permet d’aller chercher une erreur dans l’enregistrement de l’ensemble des évènements pour l’analyser et comprendre ce qu’il s’est passé.
Or, connaitre son histoire, c’est anticiper l’avenir. Dans le monde d’aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de maîtriser les risques présents, mais de les résoudre avant leur survenue.
Donc une meilleure conservation des données produites et captées par une organisation lui permettrait de non seulement de mieux exploiter l’ensemble des informations qu’elles contiennent, mais également de mieux comprendre son activité, mieux la piloter, mieux décider. Mieux connaitre ses données c’est mieux définir l’inconnu et ainsi réduire son périmètre au plus juste et donc augmenter ses probabilités de réussite dans ses interprétations.
Le fait de penser la conservation de la donnée à part entière au sein de l’organisation aboutit naturellement au concept de patrimonialisation de la donnée. Cette patrimonialisation a deux conséquences : une économique, l’autre technique et organisationnelle.

Une dichotomie à embrasser

1. D’un point de vue économique et comptable, la donnée est un élément identifiable, elle correspond à la définition de l’immobilisation incorporelle. Elle fait donc partie du capital immatériel de l’organisation. Mais si la donnée fait partie du patrimoine, alors elle demande à être gérée au même titre que les autres actifs. La monétarisation de la donnée résulte de la conversion d’indicateurs de performances multicritères en un même langage : le langage monétaire. (Djerbi et Ayoub, 2013). Une donnée a une valeur d’usage et peut se voir attribuer un prix en cas de transaction. La somme des données de l’organisation, son patrimoine de donnée, est donc valorisable financièrement. Une partie croissante de la valorisation d’une organisation dépend de ce patrimoine.
2. D’un point de vue technique, la donnée est un produit et un consommable, intrinsèquement liée au développement de l’informatique et du numérique. Considérer la donnée comme une entité à part entière du patrimoine demande la mise en place de collaborateurs dédiés et de processus de gestion spécifiques, ainsi qu’une infrastructure technique adaptée. Ce sont ces différents éléments qui structurent l’organisation et sont une source croissante de la création de valeur de l’organisation. Cette conséquence opérationnelle de la gestion de la donnée doit être répercutée dans le travail d’analyse de la valeur du système d’information.

Une nécessaire évolution de l’IT due diligence

Et bien que la donnée soit déjà célèbre, rares sont ceux qui ont tiré les conséquences de la croissance de sa production. L’IT due diligence classique s’intéresse aux actifs tangibles et facilement mesurables, car lorsque la donnée était rare, l’avantage concurrentiel d’un système d’information se situait au niveau de ses composants, des logiciels et applications qui le structuraient. Avec une donnée abondante apparaît un besoin de gestion technique et organisationnelle de cette abondance pour la canaliser, la mettre en qualité, l’analyser et la stocker. Une donnée se gère au sein du système d’information au-delà d’un logiciel.
Il faut donc admettre ce changement de paradigme. Une nouvelle conception du numérique centrée autour de la donnée et de ses usages. Et en tirer la conclusion qui s’impose : elle doit devenir le nouveau prisme d’analyse au travers duquel l’ensemble du SI doit s’appréhender. Les nouveaux objectifs de l’IT due diligence doivent s’orienter vers l’approfondissement de l’étude de ce patrimoine que constitue les données de l’organisation et de son management, quels en sont les usages, les utilisateurs, les perspectives d’évolution et d’intégration avec un tiers. La valorisation de la cible peut s’en trouver fortement affectée. Entre une organisation qui a pris soin de son patrimoine de données et une autre qui l’a délaissé, l’une a des armes pour affronter l’avenir que l’autre n’a pas.

En bref

Le numérique a bousculé les pratiques et fait émerger un nouvel élément polymorphique : produit de base, produit transformé et information à la fois : la donnée. Mais celle-ci demande une réorganisation humaine et technique pour en extraire un maximum de valeur. Au-delà des vérifications d’usages (conformité, sécurité, etc..), l’IT due diligence est l’occasion de définir le patrimoine numérique de la cible, les processus qui lui sont dédiés, les rôles de chacun dans la gouvernance, la compatibilité de ce patrimoine avec le patrimoine SI de l’acquéreur et les efforts à consentir pour les intégrer. La donnée, en tant que principal vecteur de croissance économique, doit devenir le cœur de l’analyse de l’IT due diligence.

Vincent Lemoine

Vincent Lemoine

Consultant