Il est un enseignement de la crise du Covid-19 que nous n’attendions pas forcément : nos sociétés ont développé une capacité d’adaptation (pour la résilience, les prochains mois nous le diront), qui nous a permis de traverser la première partie de cette crise sans trop de dégâts économiques. Les outils numériques en sont une des principales raisons.
Il y a 20 ans, sans l’instantanéité de l’information et la globalisation, le confinement mondial n’aurait sans doute pas eu lieu
Qui aurait imaginé, il y a seulement 10 ans, un confinement dans lequel la majorité des emplois de bureau continuent dans une quasi normalité ? Que l’accès aux progiciels ne soit pas un problème ? Que l’on puisse faire des visio-conférences, utiliser des outils de collaboration pour nos rendez-vous ? Que la majorité des services publics puissent se faire de façon dématérialisée ? Sans parler du fait qu’il y a 20 ans, sans l’instantanéité de l’information et la globalisation, le confinement mondial n’aurait sans doute pas eu lieu…
Le numérique a ainsi pris une place essentielle dans nos sociétés, dont il faut comprendre les risques (libertés individuelles, protection des données personnelles, addiction aux écrans, fractures de toutes sortes…) mais également les opportunités. L’organisation territoriale du numérique devient un enjeu capital d’efficacité de nos services publics autant que d’égalité d’accès à ces services.
Infhotep a eu la chance de réaliser, aux côtés du cabinet Alrig, une étude commandée par l’association Déclic sur la mutualisation territoriale du numérique. Cette étude s’interroge notamment sur le rôle des Opérateurs Publics de Service Numériques (OPSN).
Comprendre le fonctionnement des OPSN
Une partie de cette étude a constitué à la mise en place d’un observatoire afin de comprendre leur représentativité et leur fonctionnement. Cet observatoire, qui a vocation à s’inscrire dans le temps, nous apprend d’une part que la majorité des départements en France disposent d’un OPSN, mais également qu’il s’agit de structures très hétérogènes, dans leur nature juridique, leur taille, ou encore les métiers et compétences qu’ils exercent.
Regroupant 17 436 collectivités, 47% des communes françaises, 38M habitants, ces acteurs peu connus du grand public jouent pourtant un rôle essentiel dans le fonctionnement numérique des collectivités territoriales en France.
Une enquête en ligne a également été menée. Relayée sur les territoires par les OPSN eux-mêmes, les résultats (1800 répondants) sont à la hauteur de leur capacité de mobilisation. Cette enquête a été complétée par des entretiens avec les acteurs français du numérique : institutions nationales (ANSSI, DINUM, CNIL, …), éditeurs, OPSN eux-mêmes… Nous avons ainsi pu avoir des données quantitative et qualitatives.
Quel impact des OPSN sur l’organisation territoriale du numérique ?
La principale conclusion est le rôle absolument majeur qu’ont les OPSN pour le fonctionnement du S.I. des collectivités, et notamment les plus petites (l’ensemble de l’étude est accessible sur le site de Déclic). En regardant dans le détail, parmi les résultats, certains attirent l’attention et méritent d’être mis en perspective.
Seules 34% des Collectivités Territoriales ont nommé un DPD
Tout d’abord, 2 ans après l’obligation de conformité au RGPD, le chemin est encore long pour que toutes les collectivités aient nommé leur DPD (Délégué à la Protection des Données) ou fait leur registre des traitements. Cependant, les OPSN ont mis en place une offre d’accompagnement pertinente : mutualisation des DPD, réalisation du registre, au plus près des besoins. Et les résultats sont là. Si, au niveau national, seuls 30% des Collectivité Territoriales ont sauté le pas[1], parmi les adhérents des OPSN ce sont 63% qui sont conformes au RGPD.
Les CT s’auto-évaluent à 3,8/10 sur la gestion de la donnée : « vous pouvez mieux faire », aurait dit mon prof d’arts plastiques
Ce point fait partie d’un sujet plus vaste : celui de la gestion de la donnée. En effet, si sur la dématérialisation la plupart des chantiers sont bien enclenchés, les collectivités ont bien conscience de leur marge de progression sur celui de la data : elles s’auto-évaluent à 3,8/10 : « vous pouvez mieux faire », aurait dit mon prof d’arts plastiques.
Les sujets de mutualisation ne manquent pas : hébergement, mise à disposition de solutions en marque blanche, interopérabilité, données de référence, sécurité, open data, … Ainsi, une offre adaptée, packagée, sur ces sujets essentiels, aurait un effet démultiplicateur évident. Certains OPSN ont été précurseurs sur le sujet et ce travail ne demande qu’à se poursuivre.
L’hébergement de données, enjeu majeur d’un développement durable du numérique
Au niveau de l’hébergement, justement, offre majeure des OPSN : si, originellement, le numérique était synonyme de dématérialisation, donc de moins de papier, donc d’une démarche vertueuse, nous constatons tous les jours les limites de ce modèle notamment au travers de la consommation énergétique nécessaire à son fonctionnement. Ainsi, le stockage en datacenter, et la performance environnementale de celui-ci, deviennent des sujets critiques. Or, la mutualisation (public-public ou public-privé) est la seule façon d’avancer efficacement sur ce sujet. Les OPSN ont là une opportunité autant qu’un besoin de société qui s’ouvre devant eux.
Les services aux usagers sont également ressortis comme un sujet important : Gestion de la Relation aux Usagers (GRU), médiation, accompagnement… autant de sujet sur lesquels les collectivités souhaitent avancer. En effet, seuls 19% des collectivités interrogées indiquent avoir une GRU. Mais c’est la première demande vis-à-vis de leur OPSN, devant la médiation aux usagers. La période que l’on traverse le montre : les services en ligne, et donc l’accompagnement des usagers pour utiliser ces services, est une question cruciale d’égalité devant le droit, et entre les territoires.
Un mot sur le télétravail. Seules 17% indiquaient qu’il était permis dans leur collectivité, dans un secteur où l’encadrement juridique n’est pas si lointain. Nous l’avons vu, cette pratique a été accélérée et généralisée en un temps record, à un degré que même les plus fervents promoteurs du travail à distance n’imaginaient pas. Ceci pose de nouvelles problématiques de sécurité (25% indiquent avoir subi des attaques ces dernières années) mais peut avoir un impact beaucoup plus large sur l’aménagement du territoire (les distances et territoires ne sont plus les mêmes), ou encore sur un nouveau management à inventer.
Quelle organisation territoriale du numérique demain ?
Enfin, se pose la question de la place de ces structures et de leur avenir dans le paysage territorial français. Avec ce paradoxe : les OPSN sont plébiscités par leurs adhérents, et sont devenus essentiels pour une majorité de collectivités (spécialement les petites), mais ne sont pas clairement reconnus par la législation française, et leur pérennité même est souvent remise en cause (par exemple, par la mise en avant du couple intercommunalité/région au détriment des syndicats).
Le numérique, au contraire de l’électricité ou l’eau, n’est pas une compétence reconnue. Il n’est même pas certain que cela soit souhaitable. Cependant, pour des raisons d’efficacité, et d’égalité du territoire, une organisation est à construire afin que ces structures soient identifiées, d’une part, par les acteurs nationaux (ministères, agences, etc.) et, d’autre part, par les collectivités, afin de jouer un véritable rôle de relais, de courrois, d’acteur stratégique et opérationnel.
Ce sujet n’a pas été abordé spécifiquement jusqu’à présent par le législateur. La crise actuelle peut-elle changer la donne ? Nous le verrons dans les prochains mois/années, mais cette étude pose des éléments de contexte favorables qui demandent à être exploités sur le long terme afin de travailler à une véritable organisation territoriale du numérique en France.
Julien Hautemaniere
Consultant en stratégie numérique