L’administration des informations publiques est un des piliers des sociétés humaines. Ses règles n’ont cessé d’évoluer pour suivre les meilleures pratiques et les opportunités offertes par l’essor des technologies (stockage, accessibilité, vitesse de calcul, …). Le support de l’information a été réduit de la tablette d’argile à la donnée avec la numérisation de la société ces dernières décennies. Au-delà des règlementations apparues depuis plus de 20 ans auxquelles la collectivité doit s’adapter, des opportunités stratégiques s’égrènent le long du chemin de la mise en conformité.
De l’utilité de la donnée dans les collectivités
Les informations possédées sous forme de données par les collectivités sont régulièrement réduites aux archives publiques mais révèlent finalement un périmètre bien plus large. Captées et exploitées, elles peuvent décrire entièrement le fonctionnement de l’objet d’étude – qu’il soit une ville, un département ou un service. Cette description fine peut ensuite aider à réduire les risques identifiés et aussi devenir prédictive, par l’anticipation de risques jusque-là inconnus, par la prévision des axes de développement ou la compréhension de corrélations. Ces données doivent donc être reconnues pour ce qu’elles sont, des informations publiques et des éléments stratégiques, et être gérées en conséquence, aussi bien techniquement qu’humainement, selon les mêmes principes que pour tout autre actif. Cette conceptualisation décrit le principe de patrimonialisation de la donnée. Soit la reconnaissance de la place de l’actif « data » dans nos organisations et son besoin de gestion spécifique.
La collectivité doit donc chercher l’organisation pour exploiter ces données le plus efficacement possible, mais aussi pour mettre en œuvre les conclusions des analyses. La valeur pour la Ville ou l’usager n’est réellement perceptible que par les projets déclenchés et menés à terme, et non simplement par l’information qui demeure dans un rapport. La collectivité qui s’est transformée pour capter, exploiter et mettre en œuvre un plan d’action maîtrise mieux son avenir que celle qui voit toujours le numérique comme source de difficultés.
Maîtrise et ouverture des données, des obligations règlementaires encore peu respectées
L’année dernière, Open Data France analysait que seulement 15% des communes avaient respecté l’obligation d’ouverture des données imposée par la loi pour une République Numérique de 2016. Pour rappel, parmi les mesures prises par la loi Lemaire se trouvait l’ouverture des données publiques, dont les codes sources, les bases de données ou les données qui présentent un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental, pour les collectivités de plus de 3 500 habitants.
Ce faible taux de conformité montre que les collectivités maîtrisent encore mal le sujet, malgré une dynamique de numérisation des administrations. Face à l’ampleur de la transformation nécessaire pour basculer dans le nouveau paradigme, l’ouverture des données n’est que peu identifiée comme un sujet prioritaire. Les difficultés de projection sont d’ailleurs partagées autant par les collectivités que par les éditeurs qui doivent s’efforcer d’intégrer ces nouvelles dispositions dans leurs solutions.
Par ailleurs, le RGPD a renforcé le droit d’accès des personnes concernées relatives aux données détenues par une entité juridique. Le délai d’un mois de réponse peut s’avérer court lorsque des données sont dispersées parmi différents services.
Des transformations nécessaires, porteuses d’opportunités pour la collectivité
Pourtant, ces objectifs règlementaires peuvent s’avérer plus stratégiques pour la collectivité qu’une simple mise en conformité. « L’important n’est pas la destination mais la route qui y mène » selon l’adage. Et en effet, dans le cas d’une collectivité, les transformations organisationnelles, techniques et technologiques demandées par les (nouvelles) règlementations regorgent d’opportunités créatrices de valeur pour la collectivité.
Les évolutions nécessaires pour atteindre ces objectifs règlementaires ont des conséquences sur une large palette de sujets à fort impact pour une collectivité, de la GRU (Gestion de la Relation aux Utilisateurs) à la gestion de la voirie, et jusqu’aux monuments et bâtiments historiques. Pour simplifier, ces règlementations demandent aux collectivités la maîtrise des données qu’elles possèdent et produisent afin qu’elles puissent faire preuve de transparence et d’ouverture.
La centralisation des données, gage d’une relation usagers améliorée
Ainsi, la mise en conformité règlementaire requiert des travaux d’identification des données à ouvrir ou à diffuser, puis nécessite de déterminer l’origine de la donnée dans le système d’information. La difficulté du second exercice dans des systèmes silotés pousse à la mise en place d’un système urbanisé aux données centralisées. Cette centralisation des données favorise ensuite la gestion de leur qualité et simplifie l’identification et l’actualisation des données ouvertes, les données mises à disposition des citoyens.
Dans l’optique de la relation usagers, la centralisation des données est un préalable précieux pour mieux connaître les usagers des services, et donc de proposer des services ajustés à leurs besoins. Dans un contexte dans lequel les collectivités rivalisent pour proposer à leurs usagers des services toujours plus personnalisés et faciles d’accès, cette connaissance aiguise les facultés d’une collectivité à comprendre les attentes des citoyens et déclenche la capacité à la différenciation. Plus encore, cette centralisation favorise la récupération automatique des informations déjà transmises, dans une perspective d’application des principes « Dites-le nous une fois » et de l’administration « pro-active ».
De ces faits, la navigation numérique de l’usager est personnalisée et facilitée en fonction de ses choix et démarches précédents, et le citoyen est « reconnu » lorsqu’il se présente à un accueil physique, c’est-à-dire ses informations sont à portée de clic de l’hôte(sse).
L’analyse de la donnée, un levier à forts potentiels
A l’heure des grandes manœuvres pour une transformation écologique de nos modes de vie et de travail, l’analyse data est un levier à fort potentiel d’économie carbone, en plus de l’aspect budgétaire. De la maintenance proactive à la gestion prédictive de ses bâtiments, installations et espaces publics, une collectivité peut trouver des ressorts inattendus d’économies grâce à une gestion fine des données issues de ses consommations, ne serait-ce qu’en énergie et en eau. Les analyses seront plus poussées sur des bâtiments connectés et n’auront plus besoin d’être réalisées par des humains pour les bâtiments intelligents.
L’analyse data porte de forts potentiels car la donnée en elle-même dispose d’une qualité d’introspection. Entre autres grâce à ses métadonnées, les données de caractérisation d’une donnée, une donnée peut être l’objet d’un traitement automatique tel un besoin d‘archivage spécifique ou une suppression imposée par le RGPD. Ces traitements mis en place par conformité règlementaire ont des externalités positives pour l’environnement ou le budget de la collectivité. Toutes les données supprimées sont autant d’espaces de stockages libérés, soit des économies énergétiques et financières.
Un nécessaire soutien du politique
Les obligations règlementaires sont donc des cibles bénéficiant de nombreux avantages sous-jacents pour développer l’offre de service de la collectivité. Le service IT, qu’il soit DSI, DSN, DSIN, doit être un relai de la transformation numérique mais il ne pourra concevoir seul la stratégie et mettre en œuvre sans le recours du portage politique. Cette transformation numérique signifie pour beaucoup d’agents et d’usagers un bouleversement dans les habitudes de travail ou de consommation des services de la collectivité. Elle doit donc être pilotée par les plus hautes instances décisionnaires dans un cadre organisationnel défini et partagé. Les arbitrages rendus pour cette transformation dévoilent par contraste le niveau de maturité de la collectivité vis-à-vis de sa propre stratégie et de ses objectifs.
Vincent Lemoine
Consultant en stratégie numérique