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Le covid est un révélateur des maux de nos organisations. Le télétravail, solution bénie en période de confinement, en est un exemple flagrant : nous vivons sur ce sujet une expérience limitée, dont le futur reste à écrire. Passons du télétravail subi à un télétravail créateur de valeur : notre économie, les entreprise et les salariés y trouveront rapidement leurs comptes.

La peur de sauter le pas

Si vous êtes en période de pandémie mondiale, si l’état impose le restez-chez-soi, si votre métier le permet, si vous êtes accompagnés… La liste des précautions liées à la mise en place du télétravail dans l’entreprise était longue.

En décembre 2019, j’intervenais dans une organisation sur le retour d’expérience d’Infhotep en matière de travail à la maison. Je présentais nos pratiques, nos outils, nos rituels. Mes interlocuteurs semblaient impressionnés, ils me répétaient « chez nous, on ne pourra pas faire comme cela, nous devons accompagner le changement ».

Trois mois après, par la force des événements, l’intégralité des collaborateurs de cette entreprise se retrouvait en travail à distance. Sans aide, sans formation, sans accompagnement. Face au mur, on s’adapte.

En France, le bilan est positif, une grande partie des entreprises ont réussi à intégrer le travail à la maison, et les salariés le plébiscitent : 8 salariés sur 10 se disent prêts à s’engager plus durablement dans le télétravail.

Pourtant de nombreux DRH freinent la mise en place sous différents prétextes légitimes : un sérieux manque de maturité, d’outils, de temps, d’accompagnement… Les derniers confinements voient le retour régulier des collaborateurs dans les bureaux. Pourquoi tant d’hésitations ? Quels constats établir en 2021 et quelles sont les pistes sérieuses pour un télétravail de qualité ?

Une transformation autocentrée, en silo

L’ensemble des outils technologiques, des pratiques de management, des processus de gestion de l’information et des espaces de vivre ensemble n’ont pas été pensés pour se faire à distance.

Aujourd’hui, le télétravail est vu comme un plan B du travail. Il est un remplacement plutôt qu’un complément.

Chaque direction, dans son coin, a engagé sa propre transformation numérique : le directeur informatique permet que ses outils soient accessibles à distance. Le directeur des ressources humaines dématérialise ses processus de gestion, le responsable juridique s’équipe d’un logiciel de gestion des données personnelles. Chacun, dans son silo, cherche la meilleure solution à ses propres problèmes de travail à distance. Ce cloisonnement est structurel et s’explique par une réflexion de transformation autocentrée.

Il n’existe pas de conscience commune sur ce qu’est l’expérience télétravail.

Comme on travaille l’expérience client, travaille-t-on l’expérience salarié, au-delà de la sacrosainte marque employeur ? La réponse est non. Rien n’est fait pour intégrer le télétravail dans la vie du salarié, rendre le quotidien plus facile.

Voici un chantier sur lequel les comités de direction doivent agir dans les prochaines années : formaliser une stratégie commune autour du télétravail, qui prend en compte les enjeux de production, les capacités et les compétences des personnes et les enjeux de souveraineté numérique de l’organisation.

Trouver le bon équilibre pour gérer le temps

Car c’est avant tout une histoire d’argent. Un client heureux est un client qui consomme, un salarié heureux est un salarié qui produit. Et si le bonheur d’un salarié consiste à travailler ponctuellement de chez lui, ne le privons pas de cette opportunité.

Le salarié est un client comme les autres.

La principale difficulté réside dans le choix de l’activité à faire à distance. Si le travail consiste à être au téléphone, ou produire un document, une analyse, ou une saisie de masse, alors réaliser cette tâche de chez soi ne présente aucune difficulté particulière. D’un point de vue général, le seul véritable risque est de faire la tâche moins vite que prévue. D’un point de vue plus particulier, le manager ne pourra pas contrôler de la même façon, ce qui pose la question des modalités de contrôle et du management par la confiance, vaste sujet.

En revanche, s’il s’agit de créer ensemble, d’interagir, d’animer une formation ou apprendre, c’est nettement plus compliqué. Souvenez-vous de vos années d’études : regarder un professeur dérouler son cours peut se faire depuis une visio, comprendre et échanger se fait plus naturellement en présentiel.

Afin de réussir ce pari de l’externalisation des tâches en dehors de l’entreprise, nous allons inventer de nouvelles répartitions entre membres d’une même équipe. Imaginons que nous possédions une liste de choses à faire au niveau de l’équipe, et que ces choses soient classées selon différents critères. Certaines tâches seront simples, d’autre plus complexes. Certaines devront être réalisées en équipes, d’autres de manière individuelle.

Dans un premier temps, identifions parmi ce « magasin de choses à faire » les tâches qui peuvent être réalisées à domicile. Construisons un catalogue de processus métiers, ou chaque salarié s’affecte une tâche en fonction de ses conditions de travail.

Cette pratique déjà très développée dans la production de logiciel fait ses preuves, elle peut être adaptée à l’ensemble des métiers au sein de l’entreprise, selon un classement conjointement élaboré, selon des critères nouveaux : simple ou complexe, nécessite du temps, se gère au fil de l’eau, implique une ergonomie de travail ou peut se faire depuis son canapé.

Nous avons pour habitude d’associer une liste de tâches à un profil de poste. Organisons le contraire, à savoir associer une liste de tâches à un lieu de travail, à un besoin de concentration.

C’est une situation de management complexe, qu’une direction des ressources humaines ou une direction informatique ne peuvent traiter localement. Leurs travaux consistent à poser un cadre et à en être garants. A chaque manager de réfléchir à l’optimisation du temps de son équipe et à une répartition différente des processus de production.

Sortir de notre bulle professionnelle

Nous constatons depuis plusieurs années chez les salariés une recherche de sens dans le travail. Cette quête est autant « pourquoi je travaille ? » que « dans quelle condition je travaille ? » Les entreprises engagent des réflexions sur ces sujets, de la responsabilité sociale des entreprises à la désignation du responsable du bonheur (!)

Or, la généralisation progressive du télétravail va encore plus isoler les salariés : vous aviez du mal à faire la différence entre vie pro et vie perso ? Votre bureau est dans votre salon. Vous avez un poste difficile ou vous aviez du mal à vous positionner ? Le numérique va amplifier vos difficultés.

D’ici quelques mois, le nombre de maladies professionnelles liées au décrochage ou au surmenage sera plus nombreux et générera dans les entreprises des failles importantes de production.

Mais il existe un danger plus important : nous allons arrêter de réfléchir collectivement en dehors de notre « zone de chalandise professionnelle »

Au sein d’une équipe, il est fort probable que l’intelligence collective fonctionne plutôt bien. Une grande partie des échanges au sein d’un même bureau se font déjà par voie électronique, mail, SMS ou tchat. En revanche, nous allons perdre du brassage transversal, celui de la machine à café, du comité d’entreprise ou des moments informels.

Cela pose question à moyen et long terme. Non pas que l’avenir d’une entreprise se dessine autour de la machine à café, mais brasser les équipes dans une organisation revient à créer des ponts nécessaires à la souplesse d’une organisation, à la résolution des conflits, à l’ouverture et à la création.

Pour cela, nous pouvons par exemple privilégier le télétravail qui regroupe des salariés selon des critères géographiques plutôt qu’organisationnels. Utilisons des tiers lieux, en proximité des lieux d’habitation des personnes. Nous créerons des ponts entre les silos organisationnels.

Éveiller notre conscience numérique

Enfin, nous devons nous forger une conscience numérique, comme nous nous sommes forgé une conscience écologique ou économique.

La France cultive une forme de naïveté sur le sujet du numérique qui s’amplifie avec la généralisation du télétravail. Nous sommes face à un contraste quotidien : entre Dropbox et l’outil de partage de la direction informatique, notre besoin d’efficacité a vite choisi. Il n’y a qu’à constater comment l’entreprise Zoom s’est imposée durant le premier confinement.

Les plateformes de travail à distance, les fameuses « digital workplace », ont été conçues avec l’ambition de commercialiser vos données. Elles ne sont pas centrées sur vos usages, mais sur leur capacité à vous rendre dépendants. Par ailleurs, les progiciels métiers manipulent une quantité phénoménale de données inutiles, et chaque outil est cloisonné dans son silo métier. Une même donnée peut être stockée à plusieurs endroits différents, augmentant significativement le risque de doublon, de perte, de faille.

Plus nous travaillerons à distance, plus la question de la protection de la donnée industrielle, et personnelle prend de l’importance. Nous allons voir émerger une chaîne de valeur de la donnée métier : exit le logiciel, c’est la donnée votre patrimoine ! Dans quelques années, chaque direction métier sera responsabilisée sur son patrimoine de donnée et devra en assurer l’intégrité. Cette prise de conscience va se faire un peu attendre, tant nous sommes tous quotidiennement bloqués par l’insuffisance des logiciels métiers et l’absence de conscience numérique.

La question de l’impact écologique du numérique est également devenue prioritaire. En dépassant l’empreinte écologique de l’aviation civile, le numérique va s’imposer comme la première source de pollution mondiale dans les prochaines années. Nous allons devoir réviser nos usages, et penser autrement la chaîne de valeur de la donnée : une approche centrée sur l’impact écologique, sur l’impact organisationnel et sur l’impact individuel de chaque information manipulée.

Le confinement des ambitions

Un fragile équilibre s’est installé depuis quelques mois : la timide réussite du télétravail saison 2020 masque le fossé de notre insuffisance numérique.

Après le choc, il est temps de poser des objectifs ambitieux et d’inscrire le distanciel comme une pratique à pérenniser quotidiennement dans la société.

Décloisonnons progressivement la réflexion sur le travail à distance, rebattons les cartes de l’affectation des tâches et de la présence au bureau.
Pensons l’expérience collaborateur du travail à la maison comme on travaille l’expérience client. Alignons l’outillage numérique avec les besoins réels de l’entreprise. Éduquons nos managers au management par la confiance, engageons-nous durablement vers une plus grande sobriété des usages.

Le numérique avait bousculé l’unité de temps, en nous permettant de traverser l’Atlantique en un clic. Le télétravail bouscule l’unité de lieu : le travail sort de l’entreprise. Ce changement est considérable. Nous avons là une chance incroyable de rebattre les cartes d’un jeu à bout de souffle.

David Bessot

David Bessot

Directeur Général